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DURRIEUX Jean Jules

Jean Durrieux est né le 20 avril 1879, à Cauderan (Gironde).
Ses quelques 30 années de navigation sont divisées en 2 périodes : navigation à la voile jusqu’à l’examen de C.L.C. et en possession de ce brevet en 1905, il rentre aux Messageries Maritimes le 22 septembre de la même année. Il y fera toute sa carrière de capitaine : soit 10 ans comme lieutenant, 7 ans comme second, et 11 ans comme commandant.
Il débute à la voile au cabotage sur le 3-mâts barque NEMESIS, puis sur le brick ADELAÏDE à bord duquel il fait les voyages de la Baltique.
Toute sa navigation au long cours à la voile se fera sur le 3-mâts-barque MARIE avec le capitaine Monmoine avec lequel il fait un premier voyage de Londres à Cape Town, Portland (Oregon), et Bristol et un deuxième voyage de Cardiff à Bremerston, Tacoma, Adélaïde, Port Pirie (Australie ), Queenstown, à ordres et Dublin.
Notre camarade Durieux nous relate trois épisodes de sa vie de long courrier à la voile que nous sommes heureux de reproduire ici :
1° épisode : Le 3-mâts barque MARIE relève sur lest de Cape Town à Portland (Oregon). Fait route jusque vers le 50 ° parallèle dans les grosses brises et mer d’ouest, grains violents, aux approches de la Nouvelle-Zélande, les vents halent du sud, fraîchissant du S.E. ; grand frais; temps bouché, pas d’observations. Non loin de la route se trouvent les dangereux récifs des îlots Suarès. Le 20 novembre 1902, jugeant à l’estime qu’on en est proche, le capitaine fait une route plus sud et veiller avec attention. Dans la nuit du 20 au 21, toujours même temps et voilure réduite. Après le changement de bordée, entre 4 et 5 heures du matin, le second Quellien que j’ai remplacé avec le maître Poupard et qui, soucieux, scrute l’horizon, s’écrie tout à coup, « les brisants, tout prés sous le vent, vite appelez le capitaine
Monmoine bondit, juge aussitôt la situation, et fait forcer de toile pour donner davantage d’erre et étaler la dérive. A mesure qu’on approche, l’énorme remous écumeux et blanc grandit, s’allonge dans la brume blafarde du jour naissant, tandis que le grondement des rouleaux se fait de plus en plus perceptible et plus fort. Nous sommes tous là, anxieux, haletants, très émotionnés, je l’avoue. Je ne puis m’empêcher de m’exclamer :Nous dérivons dessus !
Monmoine peu patient dans de tels moments, mais très maître de lui me lance : Tais-toi petit c... » J’avoue encore, que loin d’être humilié de la dure réplique, je ne tarde pas à mieux respirer quand le navire reprenant de l’erre et de la vitesse, je vois les visages crispés par l’anxiété se détendre à mesure que l’on sent le danger paré ! Remous et courants y ont-ils aidés ? Toujours est-il que nous avons eu chaud. Et c’est avec un profond soupir de soulagement que nous voyons, peu après les avoir doublés, les brisants se perdre dans notre sillage. Quel joyeux écho eut l’habituel : « à boire la goutte !!! » Si le second soucieux du danger avait quitté le quart aussitôt remplacé, au lieu de prolonger la veille, il est probable que nous aurions aperçu le danger trop tard.
2° épisode : La MARIE reçoit l’ordre à Queensland de suivre sur Dublin. Nous quittons la rade en remorque. Le pilote est à bord. Le temps est incertain. Le baromètre baisse. Bientôt la brise fraîchit, la mer grossit. Le remorqueur a peine à tenir la route. Un peu avant l’aube, il n’étale plus. Le navire tombe en travers, la remorque cassée ou coupée pend à l’avant. On essaie d’établir des filins. Ils sont emportés avant d’être bordés. Le navire dérive sur les dangers. Ne pouvant établir les voiles, on se prépare à mouiller, sans espoir que les chaînes étalent. Le danger devient plus pressant, je reçois l’ordre de mouiller (mes premières fonctions de second). L’une après l’aube, les chaînes filent dans un sillon de feu et cassent. J’évite de justesse le coup de fouet à la sortie des écubiers. Nous approchons toujours des dangers. Le pilote se lamente et nous voit perdu : « no more anchors, no sails, we are lost ». Tout à coup le navire secoué se redresse peu à peu dans le lit du vent, la remorque sort de l’eau, se tend et le remorqueur qui ne nous a pas lâchés, hale dessus à toute puissance. Le capitaine par son sang froid, l’habileté de sa manœuvre et son courage, en empêchant de couper la remorque, nous a sauvés ! Quel bel exemple de solidarité digne des plus belles traditions de la Marine.
3° épisode : Notre ami Durrieux termine par la relation d’une aventure tragi-comique qui ne manque pas de saveur. Toujours à bord de la MARIE, on débarque le chargement de charbon à Bremerton, poste militaire du Puget Sound. Lieutenant chargé des vivres, je pars avec le youyou et 2 hommes au ravitaillement, la pipe à la bouche, l’écoute en mains. Je ne vois pas arriver à temps une gazoline qui à toute allure m’aborde par l’arrière. Dans le geste que je fais pour éviter le choc, je perds l’équilibre et tombe à l’eau en plein mois de janvier, avec bottes et casaque ! Alourdi par mon accoutrement, je vais me noyer: Les hommes sont affolés, le youyou débordé est déjà loin. Je vais couler quand je me sens saisir par les cheveux... C’est mon abordeur qui a évolué rapidement, me repêche et m’amène à terre dans une maison hospitalière. La maîtresse de maison est une Française. Elle est entourée de 3 ou 4 jeunes poules qui s’empressent à me réconforter, me déshabillent, me frictionnent, me revêtent de leurs atours, me font boire force grogs, si bien que réchauffé, réconforté, je m’endors dans une douce euphorie !!!Né le 20 avril 1879, le commandant Durrieux est décédé à l’âge de 94 ans en 1973.
Bordelais de vieille souche, les habitants de la Croix Blanche, ont bien connu cet aimable vieillard, toujours distingué dans sa mise, d’une exquise courtoisie, toujours empressé à rendre service et à se dévouer.
Il débute sur la goélette NEMESIS et ADELAIDE, comme novice, faisant les voyages de poteaux de mines entre le Bassin d’Arcachon et Cardiff avec charbon au retour pour les chalutiers de la Sté Cameleyre, puis pendant 2 années, de 1901 à 1903, sur les grands voiliers long courriers de Londres au Cap, Australie, Portland (Oregon) et retour vers l’Europe, via le Chili et le cap Horn.
De 1905 à 1934, il fit carrière aux Messageries Maritimes, franchissant les échelons de timonier à commandant, sur les splendides bateaux, paquebots de Marseille à Yokohama, navires aujourd’hui perdus dans la légende de l’Histoire de la Mer. Il commanda entre autres l’ANDRE LEBON et assista au tremblement de terre de septembre 1923 qui ravagea Tokyo et Yokohama.
Pendant la guerre de 1914-1918, il était officier de tir sur les transports de troupes et de munitions en Méditerranée vers le Proche Orient.
Il commanda aussi l’ARAMIS dont il prit charge à sa naissance aux chantiers de la Gironde, et il en fit le voyage inaugural de Marseille à Saigon.
Doué d’une excellente mémoire, il nous racontait souvent les anecdotes de cette belle navigation, aussi bien dans sa période dangereuse que dans celle de ces savoureuses aventures.
En 1951, il fut le fondateur et l’animateur de la bordée du Sud-Ouest (A.I.C.H.), à laquelle il se dévoua jusqu’à son dernier jour.